LES DAMES DE BRETAGNE
sur l'existence des fées en armorique |
C'était dans une petite bourgade de Basse-Bretagne, peuplée de paysans a moitié marins, et de marins a moitié paysans. Ii y avait, non loin du village, une ancienne gentilhommière que ses propriétaires avaient depuis longtemps abandonnée pour on ne savait au juste quel motif. On continuait de l'appeler le 'château' de Lanascol, quoi-qu'elle ne fut plus guère qu'une ruine. Il est vrai que les avenues par lesquelles on y accédait avaient conservé leur aspect seigneurial, avec leurs quadruples rangées de vieux hêtres dont les vastes frondaisons se miraient dans de magnifiques étangs. Les gens d'alentour se risquaient peu, le soir, dans ces avenues. Elles passaient pour être, à partir du coucher du soleil, le lieu de promenade favori d'une 'dame' que l'on désignait sous le nom de Groac'h Lanascol, la 'Fee de Lanascol'. Beaucoup disaient l'avoir rencontrée, et la dépeignaient sous les couleurs, du reste, les plus diverses. Ceux-ci faisaient d'elle une vieille femme, marchant toute courbée, les deux mains appuyées sur un troncon de béquille avec lequel, de temps en temps, elle remuait, à l'automne, les feuilles mortes. Les feuilles mortes qu'elle retournait ainsi devenaient soudain brillantes comme de l'or et s'entrechoquaient avec un bruit clair de métal. Selon d'autres, c'était une jeune princesse, merveilleusement parée, sur les pas de qui s'empressaient d'étranges petits hommes noirs et silencieux. Elle s'avançait d'une majestueuse allure de reine. Parfois elle s'arrétait devant un arbre, et l'arbre aussitôt s'incinait comme pour recevoir ses ordres. On bien, elle jetait un regard sur l'eau d'un étang, et l'etang frissonnait jusqu'en ses profondeurs, comme agité d'un mouvement de crainte sons Ia puissance de son regard. On racontait sur elle cette curieuse histoire : Les propriétaires de Lanascol ayant voulu se défaire d'un domaine qu'ils n'habitaient plus, le manoir et les terres qui en dépendaient furent mis en adjudication chez un notaire de Plouaret. Au jour fixé pour les enchères nombre d'acheteurs accoururent. Les prix étaient déjà montés très haut, et le domaine allait être adjugé, quand, a un dernier appel du crieur, une voix féminine, très douce et très impérieuse tout ensemble, s'éleva et dit : 'Mille francs de plus !' Il y eut grande rumeur dans la salle. Tout le monde chercha des yeux Ia personne qui avait lancé cette surenchère, et qui ne pouvait être qu'une femme. Mais ii ne se trouva pas une seule femme dans l'assistance. Le notaire demanda: 'Qui a parlé ?' De nouveau, Ia même voix se fit entendre. 'Groac'h Lanascol !' répondit-elle. Ce fut une débandade génerale. Depuis lors, il ne s'était jamais présenté d'acquéreur, et voilà pourquoi, répétait-on couramment, Lanascol était toujours à vendre. Si je vous ai entretenu a plaisir de la Fee de Lanascol, mes chers amis tromaliens, c'est qu'elle est la première qui ait fait impression sur moi, dans mon enfance. Combien d'autres n'en ai-je pas connu, par Ia suite, à travers les récits de mon arrière-grand mère, des gréves, des champs ou des bois ! La Bretagne est restée un royaume de féerie. On n'y peut voyager l'espace d'une lieue sans côtoyer la demeure de quelque fée mâle ou femelle. Ces jours derniers, comme j'accomplissais un pèlerinage d'automne à l'hallucinante forêt de Paimpont, que l'on appelle encore Brocéliande, toute hantée encore des grands souvenirs de la légende celtique, je croisai, sous les opulents ombrages du Pas-du-Houx, une ramasseuse de bois mort, avec qui je ne manquai pas, vous pensez bien, de lier conversation. Un des premiers noms que je prononçai flit naturellement celui de Viviane. 'Viviane!' se récria la vieille pauvresse. 'Ah! bénie soit-elle, la bonne Dame ! car elle est aussi bonne que belle... Sans sa protection, mon homme, qui travaille dans les coupes, serait tombé, comme un loup, Sons les fusils des gardes...' Et elle se mit à me conter comme quoi son mari, un tantinet braconnier comme tous les bucherons de ces parages, s'étant porte, une nuit, a l'affiut du chevreuil, dans les environs de Ia Butte-aux-Plaintes, avait été surpris en flagrant délit par une tournée de gardes. Il voulut fuir: les gardes tirèrent. Une balle l'atteignit à la cuisse : il tomba, et il s'apprêtait à se faire tuer sur place, plutôt que de se rendre, lorsque, entre ses agresseurs et lui, s'interposa subitement une espèce de brouillard très dense qui voila tout, -- le sol, les arbres, les gardes et le blessé lui-même. Et il entendit une voix sortie du brouillard, une voix légère comme un bruit de feuilies, murmurer a son oreille : 'Sauve toi, mon fils : l'esprit de Viviane veillera sur toi jusqu'a ce que tu aies rampé hors de la forêt.' 'Telles furent les propres paroles de la fée,' conclut Ia ramasseuse de bois mort. Et, dévotement, elle se signa, car la religieuse Bretagne, vous le savez, vénère les fées a l'égal des saintes. Voila, mes amis tromaliens, j'epère que vous serez plus enclins maintenant à croire aux dames de la forêt, aux fées et aux nymphes, en tout cas moi j'y crois et n'oubliez pas, chaque fois qu'on dit que les fées n'existent pas, il y a une fée qui meurre quelque part dans le monde. |